Dernier jour 10h48

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Associated Press, Dallas, Texas, aujourd'hui, 10h48. Émeute devant le tribunal. Un individu génétiquement féminin déguisé en homme qui avait baissé son pantalon dans un bar afin de prouver sa véritable nature à la suite d'un pari d'ivrogne a été condamné à un an de travail pour la communauté et une mise sous surveillance électronique intégrale de deux ans. Il a du coup perdu quinze points de citoyenneté. Le lobby lesbien et transsexuel no-op proteste unanimement contre cette condamnation. En effet, le libellé exact de la sentence laisse entendre qu'un élément particulier a pesé plus lourd que la logique le ferait soupçonner : cet individu avait fait usage de sa prothèse pénienne pour arracher un œil dans la bagarre qui avait éclaté après son exhibition. Cependant, le juge a reconnu qu'à dix contre un, il y avait légitime défense. Les no-ops, qui revendiquent le droit à assumer leur transsexualité sans se faire opérer, insistent qu'il s'agit donc d'une mesure discriminatoire. La manifestation pacifique des no-ops devant le tribunal a mal tourné, donnant lieu à une émeute très sévère avec des fondamentalistes, qui se sont battus entre eux, ajoutant à la confusion. On déplore deux morts et quatre-vingts blessés graves à la suite de tirs nourris d'arme à feu que la police dément avoir initiés.

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Le magasin « Tin Row » était une échoppe du petit centre commercial décrépi à côté du lycée. La porte, au milieu d'une devanture étroite et vide, s'ouvrit en grinçant sur un petit comptoir. Ada s'y avança nonchalamment. Elle demanda au jeune homme qui était assis de l'autre côté :

— Vince ?

Il leva les yeux et lui sourit aimablement.

— Bonjours Ada !

Elle connaissait bien ce type de regard. On pouvait y lire : elle est drôlement mignonne celle-là, je me la ferais bien. Quand elle avait raconté à Michael qu'elle trouvait souvent ce message très explicite dans les regards des hommes, il avait ri. Il lui avait répondu : mais Ada, un mec qui te voit et qui ne se dit pas ça, soit c'est un pédé, soit il est presque déjà mort ! Et elle lui avait expliqué qu'elle le savait bien, mais que ce qui la gênait était la violence de son impression, comme si ces types le lui avaient dit à haute voix, alors que ce n'était qu'un regard.

Maintenant qu'il était devant elle, elle se souvenait vaguement l'avoir déjà vu, sans doute avec Michael.

— Et Michael, demanda-t-elle ?

— Il est passé tout à l'heure. On dirait qu'il a de gros ennuis.

Elle hocha la tête.

« Il voulait que je lui vende une GPRTC, c'est une unité centrale...

Elle l'interrompit.

— Je sais.

— Il n'avait pas un rond. Il m'a dit que tu allais payer.

— Haha, fit-elle du tac au tac. Elle pensa au sujet de Michael : il ne manque pas d'air.

« Combien ?

Il dit le prix, c'était exorbitant.

— Pardon ?

— C'est une très grosse configuration de technologie très récente, et il y a aussi une paire de téléphones avec un brouilleur de voix, dont la vente est très illégale. Je prends un gros risque.

Il posa sur le comptoir un sac en plastique qui contenait un objet rectangulaire grand comme une boîte à chaussure. Il lui montra un téléphone avec une petite excroissance insolite, visiblement bricolée, au niveau du microphone.

— Pourquoi est-ce qu'il n'y a qu'un seul téléphone ?

Il haussa les épaules.

— J'ai donné le petit frère à Michael, bien sûr.

Comme Ada se demandait comment Michael avait pu imaginer qu'elle trouve une telle somme, elle comprit que c'était un coup au hasard, que Michael était venu tenter sa chance ici, qu'il avait parié sur elle. Il avait parié qu'elle trouverait pour lui cette petite fortune en quelques heures. Et ce garçon qui s'appelait Vince avait accepté pour Michael de prendre le risque de voir l'autre téléphone partir. Un coup de torche dans le brouillard.

— OK.

Les yeux de Vince indiquèrent la surprise. Il s'était sans doute attendu à ce qu'elle marchande ou qu'elle lui dise qu'il fallait qu'elle aille chercher l'argent. Elle fouilla dans sa poche et lui compta une à une les puces sous le nez. Il vérifia les valeurs.

— Je te préviens : demain matin, je déclarerai les téléphones perdus et l'opérateur les désactivera.

Ada hocha la tête. Elle pensa : demain matin, soit on sera loin, soit on sera en prison, soit on sera morts. Il ajouta :

« La pile à combustible est chargée à bloc.

Ada prit le sac et s'écarta à reculons. Il la regarda de la tête au pied d'un air admiratif. Elle prit conscience qu'elle était trempée et que ses vêtements qui lui collaient à la peau en étaient devenus translucides.

— Bonne chance, fit-il doucement.

Elle sentit qu'il était sincère.

— Adieu, lui répondit-elle.

Elle sortit dans la pluie brûlante, inexpiable.